Améliorer le financement de l’économie locale en Afrique de l’Ouest pour contribuer à l’émergence économique et sociale de l’Afrique

Communication de Monsieur Bassary TOURE,

Vice-Président de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD)

Monsieur le Modérateur,

Messieurs les panelistes,

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi d’abord de remercier sincèrement les organisateurs de cette manifestation pour l’honneur fait à la BOAD et à ma personne en m’invitant à cette importante rencontre de réflexion et de partage sur l’avenir des relations entre la France et le continent africain.

Le thème central de ces rencontres « Entreprendre avec l’Afrique au 21ème siècle » montre la volonté des partenaires de l’Afrique de s’orienter véritablement vers un partenariat « gagnant gagnant » avec le continent, au vu des énormes potentialités qu’il offre et de ses récentes performances économiques.

Le thème de cette session de la 2ème table ronde qui porte sur « les acteurs du financement de l’économie locale », présente un intérêt particulier pour la BOAD en ce qu’elle  estime que le développement de l’Afrique se fera par la base, d’où l’importance d’asseoir une économique locale capable de générer des ressources en vue de réaliser d’importants projets au niveau local. Aussi, je voudrais vous entretenir sur les voies et moyens pour améliorer le financement de l’économie locale en Afrique de l’ouest.

Je commencerai ma communication en disant un mot sur l’importance du développement local dans le processus du développement national ; j’évoquerai ensuite les principales contraintes au financement de l’économie locale et les principales mesures pour lever ces contraintes et pour terminer, je parlerai de l’expérience de la BOAD dans le financement du développement local dans l’UEMOA.

I. IMPORTANCE DU DEVELOPPEMENT LOCAL 

Processus d’amélioration de la situation d’un territoire, le développement local vise à : (i) améliorer le cadre de vie des personnes de la communauté pour qu’elles puissent profiter d’un environnement sain et agréable ; (ii) améliorer leur milieu de vie pour qu’elles puissent s’épanouir dans une communauté qui leur offre plusieurs occasions sociales et culturelles ; (iii) augmenter le niveau de vie afin que chacun dans la communauté puisse travailler et donc gagner un revenu pour pouvoir profiter des avantages de la communauté (création d’emplois et répartition de la richesse).

De ce point de vue, le développement local peut être perçu comme une approche globale de revitalisation économique et sociale des collectivités, qui réunit nécessairement quatre dimensions (économique, locale, communautaire et social) et concerne plusieurs acteurs que sont l’Etat, les élus locaux, les populations, les organisations de la société civile, le secteur privé, les partenaires techniques et financiers, etc..

Les principaux outils du développement local sont :

  • l’aménagement du territoire qui définit les grandes orientations et fixe le cadre de développement des zones ;
  • une politique de décentralisation appuyée par la déconcentration des structures de l’État ;
  • la gouvernance locale définie comme l’ensemble des interactions entre les acteurs d’une communauté locale (le secteur public, le secteur privé et la société civile) orientées vers la définition d’un projet global commun et de projets spécifiques de développement des collectivités ;
  • la participation citoyenne qui s’exprime au sein des structures de gouvernance locale ;
  • le financement via la fiscalité nationale et locale et les agences internationales.

Importance du développement local en Afrique

En termes d’importance, le développement local a un impact sur l’amélioration de la gouvernance et la promotion d’un développement durable grâce au renforcement des économies locales par la diversification et la création des opportunités d’emplois pour les populations, notamment pour les plus pauvres. En cela, il constitue une stratégie pour une croissance inclusive, grâce à laquelle les populations à la base peuvent bénéficier des fruits de la croissance au niveau national.

Aujourd’hui, de nombreux pays africains font du développement local un axe stratégique dans leur programme national de développement. Cela se matérialise par la mise en œuvre de la politique de décentralisation qui consiste à transférer les pouvoirs de l’État vers des personnes morales de droit public distinctes, qui disposent d’une autonomie plus ou moins grande, selon le degré de décentralisation et d’un budget propre.

Toutefois, une des principales difficultés pour le développement local en Afrique est celle relative à son financement. En effet, les collectivités territoriales africaines se voient confrontées à l’insuffisance des ressources financières pour la réalisation de leur programme de développement local.  Cette insuffisance de ressources financières est due à un ensemble facteurs ou de contraintes.

II. LES PRINCIPALES CONTRAINTES AU FINANCEMENT DE L’ECONOMIE LOCALE EN AFRIQUE DE L’OUEST

Le développement économique local se trouve confronté en Afrique à certaines contraintes qui ne permettent pas une mobilisation suffisante de ressources financières pour la réalisation du plan de développement de la collectivité territoriale. Il s’agit notamment de :

  • Faible capacité des acteurs locaux

Les acteurs locaux dénotent une faible capacité en matière de gouvernance locale. Ils ont du mal à élaborer un plan cohérent de développement local en tenant compte des priorités de la localité ou de la région.

  • Cadre étroit de compétences

Du point de vue institutionnel, les compétences accordées aux communes restent encore le plus souvent limitées par rapport aux perspectives de financement des priorités de développement dans les villes. Le mouvement décentralisateur engagé au début des années 1990 dans la plupart des pays africains n’a pas réglé la question du partage effectif des compétences entre l’Etat, les communes et, le cas échéant, les autres échelons de décentralisation.

  • Faible capacité d’absorption des communes

La faible capacité d’absorption des communes constitue un obstacle majeur à la mise en œuvre des projets. L’accroissement des ressources soulève tout d’abord des questions d’ordre institutionnel dans les collectivités locales. Les domaines les plus concernés sont les structures locales (entreprises, services, etc.), l’administration municipale, la formation et les ressources humaines ainsi que la planification et les dépenses publiques locales. Généralement, ces structures et compétences n’existent pas au niveau des collectivités locales.

Dans le cadre de la décentralisation institutionnelle, la plupart des pays ont œuvré à développer une capacité d’exécution et de financement des investissements locaux. Mais, ces efforts n’ont encore pas d’incidences significatives au niveau des communes.

  • Faible dotation de l’Etat pour les collectivités locales

Dans le cadre du processus de décentralisation, l’Etat devra à terme transférer totalement la fiscalité locale à la collectivité territoriale. En attendant la mise en place effective de cette politique, l’Etat transfère des ressources financières aux collectivités. Face à la faiblesse des ressources au niveau central, les ressources transférées par l’Etat aux collectivités s’avèrent insuffisantes pour la réalisation de leur plan de développement local.

  • Faible capacité des collectivités locales à lever des ressources financières

La plupart des collectivités locales africaines font face à une faible capacité de mobilisation de ressources financières ; ce qui constitue un obstacle majeur à la mise en œuvre des projets de développement. La mobilisation des ressources des collectivités locales se situe à trois niveaux : central (subventions de l’Etat), local (taxes locales) et les emprunts.

Concernant les taxes locales, les gouvernements africains n’ont pas totalement transféré la fiscalité au niveau local ; les recettes fiscales collectées au niveau local sont transférées au niveau central, qui à la suite, sont redistribuées aux collectivités sous forme de subventions. Compte tenu du fait de l’insuffisance des ressources fiscales au niveau central, le niveau des subventions accordées par le Gouvernement aux collectivités est également faible.

Concernant les emprunts des collectivités, la capacité du secteur local à emprunter auprès du marché financier et des bailleurs de fonds est très limitée en raison de la faiblesse de leur épargne. La solvabilité des collectivités locales est fragilisée par un système de ressources souvent aléatoire (insuffisante mobilisation du potentiel fiscal, inefficacité du système des transferts financiers, etc.) et par une gestion budgétaire discutable (importance des dépenses de fonctionnement).

III. PRINCIPALES MESURES POUR LEVER LES OBSTABLES AU FINANCEMENT DE L’ECONOMIE LOCALE EN AFRIQUE DE L’OUEST

Pour lever les contraintes rencontrées dans le financement des collectivités locales, un certain nombre de mesures peuvent être mises en œuvres ; il s’agit de :

  • Mobilisation de l’épargne de proximité

Les collectivités sont confrontées à une faiblesse de l’épargne locale. Pour accroitre cette épargne, il faut favoriser la mise en place d’une économie locale, capable de générer des revenus. Pour cela, les autorités locales doivent faciliter la création d’un environnement incitatif pour permettre la création d’entreprises locales, en se basant sur les potentialités de la localité ou de la région. L’amélioration du cadre des affaires au niveau local permettra aussi la création d’emplois pour la population, via les entreprises.

  • Amélioration du cadre juridique des collectivités locales

Dans la plupart de pays de l’UEMOA, les collectivités territoriales ne bénéficient pas d’un cadre juridique adéquat et d’une véritable autonomie en matière de gouvernance et de gestion financière, pour leur permettre de mettre en œuvre de manière efficace, leur plan de développement local. Elles dépendent sur le plan financier de la tutelle centrale. Le processus de décentralisation dans les pays de l’UEMOA, censé accorder une autonomie aux collectivités, se décline de diverses manières montrant une diversité du processus dans l’Union.

 

Pour permettre aux collectivités d’avoir une autonomie de gouvernance et de gestion, il faudrait que les pays de l’UEMOA puisse poursuivre leur processus de décentralisation jusqu’à son terme.

  • Création d’institutions financières spécialisées dans le financement de l’économie locale

Le financement des collectivités locales requiert un certain nombre de spécificités et de produits financiers adaptés que les banques commerciales classiques n’ont pas toujours. Pour répondre aux besoins des collectivités locales en matière de financement, la création d’institutions financières spécialisées dans ce type de financement pourrait être envisagée.

La Commission de l’UEMOA a lancé en 2013, une étude sur «la définition des mécanismes et dispositifs communautaires de financement des collectivités territoriales de l’espace UEMOA», avec l’appui de l’Union Européenne et sous la maîtrise d’ouvrage du Conseil des Collectivités Territorial (CCT) de l’UEMOA. La finalisation de cette étude devrait conduire à la mise en place d’un dispositif communautaire pour le financement des collectivités dans l’Union.

  • Le recours aux banques de développement

Les banques de développement ont pour mission le de développement du secteur public, à travers la mise en place d’infrastructures urbaines et rurales et de lutte contre la pauvreté. Par conséquent, elles peuvent aussi apporter un appui aux collectivités locales sous forme de financement dans la réalisation de leur programme de développement local. Cet appui peut se faire sous forme de prêts à moyen et long termes avec la garantie de l’Etat, le cas échéant.

  • Accroissement du financement des PME/PMI

Dans l’UEMOA, les PME/PMI rencontrent toujours des énormes difficultés pour avoir accès à des financements. Au niveau local, il existe un tissu très faible de PME/PMI pour développer une économie locale créatrice de richesse. Pour développer les PME/PMI au niveau local, il faudrait améliorer leur accès au financement, à travers : (i) la mise en place des produits financiers adaptés aux besoins des PME/PMI ; (ii) le renforcement des capacités des PME/PMI locales ; (iii) le développement de métiers au niveau du secteur bancaire pour mieux répondre aux besoins des PME/PMI locales.

  • Amélioration de la bancarisation

L’UEMOA connait l’un des plus faibles de taux de bancarisation en Afrique ; plusieurs couches de la population n’ont pas encore accès aux services financiers, notamment les collectivités locales. Pour améliorer le taux de bancarisation au niveau local, il faudrait d’abord d’une manière générale créer les conditions pour le développement d’une véritable économie locale capable d’attirer le secteur bancaire à un niveau décentralisé. Ensuite, il faudrait : (i) renforcer le niveau de l’inclusion financière des populations par la promotion de produits d’épargne diversifiés ; (ii) réviser la politique de facturation des services bancaires à la clientèle et la promotion de la banque à distance ; (iii) structurer les produits d’épargne réglementés attractifs et (iv) rationaliser la tarification des services financiers et des conditions de banque.

IV. EXPERIENCES DE LA BOAD DANS LE FINANCEMENT DE L’ECONOMIE LOCALE EN AFRIQUE DE L’OUEST

La Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) est l’Institution spécialisée de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) chargée du financement du développement. Elle a pour mission essentielle, de promouvoir le développement équilibré et l’intégration économique des Etats membres.

Depuis le démarrage de ses activités opérationnelles en 1976, l’essentiel de l’action de la BOAD en faveur du développement et du bien-être des populations passe par l’administration centrale de ses Etats membres. Toutefois, les financements de la Banque parviennent aux collectivités locales ou bien touchent ces collectivités à travers certaines composantes des projets introduites dans les projets de développement rural ou d’aménagement du territoire.

Au cours de ces dernières années, face aux sollicitations de plus en plus croissantes des collectivités locales, la BOAD a décidé de s’engager à apporter une réponse idoine à cette problématique de financement du développement local en contribuant à la création Crédit Municipal Africain (CMA) au Mali dont le processus n’est malheureusement pas allé à son terme.

La BOAD a également apporté un financement à la Mairie de Dakar et reste ouverte d’autres collectivités qui ont une gouvernance et une capacité financières adéquates. Ce financement a concerné un projet, d’un coût total de 10 milliards FCFA (15,245 millions d’euros)dont 9,7 milliards FCFA (14,486 millions d’euros) provenant de la BOAD, qui avait pour objet, le renforcement de 157 km et la construction de 6 km de voies urbaines du réseau routier revêtu non classé ainsi que l’aménagement de 2000 places de stationnement payant dans la ville de Dakar.

Les financements de la Banque en faveur du développement rural dans l’UEMOA ont d’une certaine manière aussi, permis le financement du développement local, à travers la mise en place de structures économiques et sociales locales. A date, le montant des interventions de la Banque dans le développement rural se chiffre à 424,6 milliards FCFA, soit environ 647 millions d’euros, pour 140 projets.

CONCLUSION

Le développement local constitue une priorité des Etats de l’Afrique de l’ouest dans leur processus de développement national. A cet effet, tous les pays ont entamé des processus de décentralisation qui devraient à terme donner une plus grande autonomie aux collectivités  territoriales.

Face à leur défi de développement, les collectivités locales sont confrontées à l’insuffisance des ressources financières pour mettre en œuvre leur plan de développement. Ces difficultés résultent de leur cadre réglementaire inadapté à la mobilisation des ressources, de la faible capacité des acteurs locaux et de la faiblesse de la fiscalité locale.

Des pistes de solutions peuvent être explorées pour améliorer l’accès au financement des collectivités  locales. Il s’agit de la poursuite de la décentralisation afin de rendre autonomes les collectivités locales, du renforcement des capacités des acteurs locaux, et la création d’institutions financières spécialisées dans le financement de l’économie locale.