Initiée par le protocole de Kyoto, la compensation carbone est l’un des mécanismes utilisés pour fixer le prix du carbone et lutter contre les changements climatiques. Afin de cantonner le réchauffement mondial du climat entre 1,5°C et 2°C, les responsables politiques ont pris des mesures économiques incitatives pour limiter les émissions de gaz à effet de serre (GES).
L’Afrique de l’Ouest regorge de larges réserves de carbone nature, que sont les forêts, mangroves, marais, étendues d’eau, océans … représentant autant de potentiels naturels de génération de crédits carbone. Ces ressources naturelles peuvent être conservées ou répliquées sous forme de technologies de captation des gaz à effet de serre. Ces approches contribuent à la création d’un marché d’échanges de crédits carbone qui certifient les actions de réduction et de captation d’émissions de GES, pouvant être échangés et commercialisés.
Le Sommet de la Terre de Rio de 1992 marque le début des négociations internationales sur le climat. Ces discussions ont abouti sur le Protocole de Kyoto de 1997. Celui-ci a permis de mettre en place la majeure partie des systèmes de tarification du carbone. Etabli entre 2005 et 2012, puis prolongé jusqu’en 2020, le protocole de Kyoto a pris fin en 2021. Le marché de conformité est, désormais, encadré par l’Accord de Paris et, notamment, par son article 6, qui définit les règles de flexibilité et de coopération, pour l’atteinte des objectifs des Etats.
Lorsqu’il est question de prix du carbone, il est important de distinguer : les marchés carbone volontaires (dérégulés) ; et les marchés de conformités (aussi appelés approches collaboratives et régulés par l’article 6 de l’Accord de Paris). Par leur engagement à l’Accord de Paris, les acteurs des marchés de conformité sont tenus de réduire les émissions ou à acheter des crédits, afin d’atteindre les objectifs fixés par leurs Contributions Déterminées au niveau National (CDN). Les marchés volontaires, quant à eux, servent à ceux qui choisissent volontairement de réduire leurs émissions ou d’acheter des crédits. Les experts réfléchissent actuellement à une solution permettant au marché volontaire de contribuer, tout ou partie, aux objectifs des CDN.
Le marché de conformité s’adresse aux entités qui sont légalement tenues de réduire leurs émissions ou d’acquérir des crédits pour acheter des compensations, à savoir, les Etats signataires de l’Accord de Paris, le secteur privé, la société civile, les compagnies aériennes, les industriels et les producteurs d’électricité qui doivent respecter des mandats nationaux ou régionaux en matière d’émissions de GES. Ces marchés ont une fonction réglementaire et visent à réduire ou à compenser les émissions de GES générées. Les marchés de conformité sont régulés par l’Article 6 de l’Accord de Paris. Parce qu’ils sont mandatés, ces marchés vendent des crédits à des taux déterminés, tout comme pour d’autres marchandises. La plupart des marchés réglementaires suivent les mécanismes et les méthodologies du protocole de Kyoto (Mécanisme de Développement Propre : MDP).
Les marchés volontaires sont un peu différents. Les entités, qui y recourent, choisissent de le faire en cherchant des moyens de réduire leurs propres émissions, et ce, dans le but de vendre les crédits générés, d’acheter des compensations à ceux qui ont généré des crédits carbones, ou de réduire les émissions au sein de leurs propres chaînes de valeur. Parce qu’ils ne sont pas mandatés ou réglementés par les gouvernements, ni par l’Accord de Paris, de nombreux marchés volontaires suivent différents schémas pour mesurer, rapporter, vérifier la séquestration du carbone et fixer les prix des crédits carbones, générés à travers des agences de certification telles que Gold Standard, Verra etc… Le « Far West » des marchés volontaires est en pleine évolution. Les créateurs de ces marchés tentent de trouver la meilleure façon de collecter des données, pour fournir des crédits vérifiés et fiables aux acheteurs.
Étant donné que les GES séquestrés dans le cadre des marchés volontaires ne sont pas réglementés par des marchés de conformité, les acteurs des marchés du carbone peuvent travailler avec des programmes de carbone ou des facilitateurs pour vendre leurs crédits. Malheureusement, les Etats Africains peinent à faire évoluer les législations et le cadre de régulation, national et régional, qui leur permettraient de surveiller leurs transactions et d’assurer une régulation des prix et des contributions obligatoires des crédits, affectées aux CDN des pays concernés.
De plus, la volatilité des prix du carbone constitue un risque à prendre en compte, même si la tendance est à la hausse, depuis quelques années (25 USD/ tCO2eq en 2020 pour 80 USD / tCO2eq en 2023). Cela est en grande partie dû au manque de régulation locale, bien que l’Article 6, édicté par le secrétariat de la Convention des Nations Unies pour le Climat (CCNUCC), tente d’y apporter des réponses, rassurant le marché et accompagnant les Etats à renforcer leurs régulations locales et régionales.
Il y a un besoin urgent d’acculturation des acteurs sous régionaux à l’action climatique et aux marchés carbone et, nécessairement, aux défis inhérents à un système de marché libre. Sans l’existence d’un organisme de réglementation, il incombe aux acteurs des marchés du carbone d’adopter de bonnes pratiques.
La BOAD et l’UEMOA doivent pouvoir jouer un rôle majeur dans la régulation et le développement de standards de qualité des crédits générés dans la sous-région, en imposant, notamment, des normes de crédits premium, associant réduction et séquestration des GES aux co-bénéfices liés au genre, à la biodiversité ou à la santé, entre autres. Il est important que les pays africains, hôtes de projets de réduction et de séquestration des GES, développent leurs propres régulations, affirmant leur position de créateurs de marchés et d’acteurs incontournables, tout en jouant un rôle prépondérant dans l’orientation de la régulation et la détermination des prix, au niveau mondial.
C’est dans ce cadre que l’Alliance Ouest Africaine sur les Marchés Carbone et la Finance Climat (Alliance) a été créée, sous la houlette du gouvernement Allemand, de la BOAD et du Centre Régional de Collaboration de Lomé (CRC, récemment renommé RCC West and Central Africa – RCC WAC Africa), dont le mandat initial est de guider les Etats dans la mise en œuvre du protocole de Kyoto, et de l’Article 6 et de la Finance Climat. Le rôle de l’Alliance est donc d’accompagner ses seize (16) Etats membres dans l’opérationnalisation de l’Article 6 et le développement d’une solidarité et d’une uniformité dans la régulation et la réglementation régionale. Les Etats membres sont renforcés afin de leur permettre de bénéficier au maximum des opportunités de la tarification du carbone (Taxes carbones, ETS-Emission Trading Schemes ou régulateur de quotas d’échange de crédits carbones au niveau national etc.) et de la finance climat (Debt swaps, Need Based Finance etc.), tout en facilitant le transfert de connaissances et le partage d’expériences et de bonnes pratiques.
Depuis 2015, la BOAD, à travers le CRC, s’efforce d’accompagner le renforcement de capacités de l’Alliance dans le cadre de la mise en œuvre et l’opérationnalisation de l’article 6, des instruments de tarification du carbone et de la sensibilisation des acteurs au niveau régional et national, si nécessaire. Il est important de noter que la CCNUCC a également lancé un programme de renforcement de capacités en ligne, accessible gratuitement à toute personne intéressée.
A travers l’initiative CI-ACA (Collaborative Instruments for Ambitious Climate Action) en partenariat avec l’Alliance, le CRC appuie les dialogues nationaux sur la tarification du carbone au Ghana, au Sénégal, au Nigeria, également, afin de lancer des études sur la faisabilité de Taxes Carbone ou de mécanismes d’échanges de quotas d’émissions et de séquestration de GES, au niveau national. Le Ghana a conclu que la taxe carbone n’était pas envisageable, et le Sénégal, lui, est en phase d’acculturation de ses acteurs à ce nouvel outil. L’étude sur la tarification du carbone au Nigéria a été finalisée et validée par le gouvernement et les acteurs locaux nigérians, afin d’engager des études plus approfondies pour la mise en œuvre de l’instrument envisagé par le pays. La Guinée et la Guinée Bissau ont également procédé à ces dialogues nationaux et démarreront leurs études sur les initiatives de tarification du carbone, cette année, après des ateliers de sensibilisation et de mobilisation des acteurs nationaux aux notions essentielles.
Les marchés carbone représentent une réelle opportunité pour les Etats ; la forte mobilisation des acteurs régionaux témoigne de la prise de conscience qui s’opère. Le potentiel de nos pays en termes de puits de carbone devrait leur permettre, à travers les marchés carbone, de valoriser des actifs dormants, sous forme de crédits carbone, et d’accroître leurs financements en faveur de l’action climatique et du développement durable.
En plus d’accompagner les Etats pour une meilleure opérationnalisation des marchés carbone, la BOAD pourrait envisager de devenir, à terme, une entité de certification des crédits carbone pour les acteurs de la région.
Suivez l’actualité de la BOAD sur les réseaux sociaux